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En matière de dispositifs médicaux, il faut accepter une certaine distance

En ce début d’année 2020, les plus hautes juridictions françaises se sont déjà prononcées par deux fois sur la qualification de dispositif médical.

Par le passé, la qualification juridique de dispositif médical pour les produits qui n’entraient pas en contact avec le patient a été difficile. Tel est notamment le cas des logiciels. Pourtant cette qualification est importante, elle conditionne notamment la mise sur le marché du produit ou son régime fiscal.

Il est donc nécessaire de revenir sur les critères utilisés par les juges pour qualifier un dispositif médical.  

La définition actuelle du dispositif médical en droit français est donnée par l’article L.5211-1 du code de la santé publique. A l’origine cette définition résultait de la transposition de la Directive 93/42/CEE du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux. A une nuance près cependant qui s’est révélée importante dans la pratique. Dans les textes français, avait disparu la référence à une action principale voulue « dans et sur le corps humain » prévue par la directive.

Et c’est d’ailleurs sur cette différence entre la qualification du dispositif médical dans le droit de l’Union européenne et le droit français que le contentieux a beaucoup porté. Et l’importance de cette mention vaut son maintien dans la définition du dispositif médical issue du Règlement 2017/745/UE en date du 5 avril 2017 relatif aux dispositifs médicaux.

Compte tenu de cette difficulté de qualification liée au contact avec le corps humain, la Cour de Justice de l’Union Européenne, justement saisie d’une question préjudicielle par les juridictions françaises, s’était prononcée dans un arrêt du 7 décembre 2017 (C-329/16). Elle avait dégagé deux critères permettant de caractériser le dispositif médical : la finalité poursuivie et l’action produite.

Deux arrêts, rendus en février 2020 par nos juridictions, font application de ces notions pour qualifier un dispositif médical. Il s’agit d’un arrêt du Conseil d’État (10 février 2020, n°421576) et d’un arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles (25 février 2020, n°17VE01933). On analysera leur application des notions de finalité poursuivie (I) et d’action produite (II).


I. Critère #1 du dispositif médical : la finalité poursuivie

La première distinction entre un dispositif médical et un produit « commun » intervenant dans un milieu médicalisé est sa finalité. Le dispositif médical doit être destiné par le fabricant à être utilisé à des fins médicales dont une liste exhaustive est fixée par l’article R.5211-1 du code de la santé publique :

  • le diagnostic, la prévention, le contrôle, le traitement ou l'atténuation d'une maladie ;

  • le diagnostic, le contrôle, le traitement, l'atténuation ou la compensation d'une blessure ou d'un handicap ;

  • l’étude, le remplacement ou la modification de l'anatomie ou d'un processus physiologique ;

  • la maîtrise de la conception.

Application à un dispositif médical matériel

Ainsi est destiné à une finalité médicale, un activimètre mesurant la radioactivité lors de la préparation de doses de radio-isotopes ayant vocation à être administrées à un patient. En effet, selon le Conseil d’État, dans un arrêt du 10 février 2020 (cons. 2 et 6), ce produit est destiné à une fin de diagnostic, de prévention, de contrôle, de traitement ou d’atténuation d’une maladie. 

Application à un dispositif médical logiciel

La question de la qualification se pose ensuite en matière de logiciels du fait de leur spécificité et alors que ceux-ci n’agissent pas par eux-mêmes « dans ou sur le corps humain ».

Dans son arrêt du 7 décembre 2017, la CJUE offre aux praticiens une explication claire des situations pour lesquelles un logiciel doit être qualifié de dispositif médical. Tout en posant un principe de l’existence de deux critères cumulatifs nécessaires à la qualification de dispositif médical (la finalité poursuivie et l’action produite), la CJUE définit également une exception à ce principe en se concentrant uniquement sur la finalité médicale du dispositif. Elle précise que le logiciel pourra être qualifié de dispositif médical par la seule considération de sa finalité. Il sera par conséquent inutile de considérer l’action produite « dans ou sur le corps humain ».

En effet, le CJUE retient que refuser la qualification de dispositif médical à un logiciel, n’agissant pas, par nature, sur le corps humain, serait contraire à la volonté du législateur européen.

Pour la considération de la finalité du dispositif médical, la CJUE s’appuie sur la distinction déjà présente dans la directive de 2007 (n°2007/47/CE, cons. 6) qui modifiait la directive de 1993, et reprise dans le Règlement européen 2017/745 du 5 avril 2017 (considérant 19) entre :

  • d’une part, les logiciels dispositifs médicaux : « (...)spécifiquement destinés par le fabricant à une ou plusieurs des fins médicales visées dans la définition de la notion de dispositif médical » ;

  • d’autre part, les logiciels ne constituant pas des dispositifs médicaux « (...) destinés à des usages généraux, même lorsqu'ils sont utilisés dans un environnement de soins, ou (...) destinés à des usages ayant trait au mode de vie ou au bien-être ».

Dans son arrêt du 25 février 2020, la Cour administrative d’appel de Versailles est saisie de la qualification d’un logiciel de compression, de stockage et de transmission d’images médicales. Pour écarter la qualification de dispositif médical, elle caractérise la finalité poursuivie et considère que le logiciel qui ne permet pas l’affichage des images médicales, n’effectue aucune action sur les images médicales, et donc ne participe pas « de manière active » au diagnostic (CAA Versailles, 25 février 2020, §4-5, n°17VE01933).

C’est ainsi faire application de la solution dégagée par la CJUE qui exclut du secteur des dispositifs médicaux les logiciels, utilisés dans un contexte médical, ayant pour finalité unique d’archiver, de collecter et de transmettre des données.

La jurisprudence nous donne d’autres exemples de ces principes tant dans l’arrêt précité du 7 décembre 2017 de la CJUE (qui avait statué sur diverses fonctionnalités d’un ensemble logiciel) que dans des décisions des juridictions françaises :

  • un logiciel d’aide à la prescription médicale constitue un dispositif médical (CE, 12 juillet 2018, cons. 5, n°387156). En effet, il permet l’exploitation de données propres à un patient à des fins, notamment, de détection des contre-indications, des interactions médicamenteuses et les posologies excessives. Il entre donc dans la finalité de diagnostic et de traitement d’une maladie, c’est-à-dire une « finalité purement médicale » ;

  • un logiciel de stockage des données du patient n’est pas un dispositif médical (CJUE, 7 décembre 2017, §26, C-329/16) ;

  • un logiciel dont la fonction est limitée à indiquer au médecin le nom du médicament et ses génériques, sans prendre en compte les données propres au patient, n’est pas un dispositif médical (CJUE, 7 décembre 2017, §26, C-329/16) ;

  • un logiciel destiné à faire état des contre-indications mentionnées par le fabricant d’un médicament dans sa notice d’utilisation n’est pas un dispositif médical (CJUE, 7 décembre 2017, §26, C-329/16).


II. Critère #2 du dispositif médical : l’action produite

La seconde distinction entre le produit « commun » et le dispositif médical provient de l’action produite par ce dernier.

Le dispositif médical doit agir sur le patient sans recourir à des moyens pharmacologiques, immunologiques ou métaboliques. C’est cette condition qui pose des difficultés lorsque le dispositif n’entre pas en contact avec le corps du patient. C’est pourquoi, en 2017, la CJUE avait précisé qu’il n’est pas nécessaire qu’un tel dispositif « agisse directement dans et sur le corps » du patient (§28). C’est ainsi qu’un logiciel, agissant indirectement sur la maladie du patient, peut être qualifié de dispositif médical.

Dans le litige ayant donné lieu à l’arrêt du Conseil d’Etat du 10 février 2020 précité, justement ce critère d’action produite faisait débat. La Cour administrative d’appel de Marseille (18 avr. 2018 n°17MA01271) avait considéré que ne constituait pas un dispositif médical, un équipement utilisé uniquement pour la préparation d’un médicament sans agir directement sur le patient.

Le Conseil d’Etat (CE, 10 février 2020, cons.3, n°421576), pour sa part, illustre la condition de l’action produite en prenant l’exemple d’un matériel utilisé dans la préparation de solutions pharmaceutiques. Si cette solution n’est pas, par la suite, administrée à un patient, le matériel ne peut pas, faute d’action directe, être qualifié de dispositif médical.

En revanche, un système qui mesure la dose d’un produit radiopharmaceutique dans la préparation automatique d’une solution liquide, et qui permet ainsi d’éviter tout effet dangereux au moment de l’administration au patient, constitue un dispositif médical. En effet, ce dispositif a un effet immédiat sur le corps du patient puisque la précision des mesures réalisées peut impliquer des conséquences significatives sur la santé et la sécurité du patient.


En résumé, pour qualifier un produit de dispositif médical, il faut qu'il :

  • soit destiné à des fins médicales telles que prévues à l’article R.5211-1 du code de la santé publique ;

  • agisse directement ou indirectement sur le corps d’un patient individualisé.